La minute de mon arrivée sur l'île de Paros, je me rendis de suite compte de l'erreur de jugement faite en ayant voulu profiter un peu plus du soleil, tout en me rapprochant du tourisme de masse. Hormis, le désagréable constat d'avoir bêtement dépensé 40 euros en ferry, je venais de perdre une journée de vacances à voyager pour rien. S'il y a un intérêt à voyager seul, c'est de vivre une véritable aventure et non de profiter beaufement de ses vacances sur un transat avec un parasol à 6 euros la journée.
Je repartis donc sans m'attarder pour la merveilleuse Athènes et la délicieuse incompétence de ses fonctionnaires ferrovières, son exquis air enfumé et ses charmants prix exhorbitants. (incroyable qu'un pays a deux doigts de faire partie du tiers monde puisse etre membre de l'UE). A mon grand regret, je ne m'y attarda pas, préférant rejoindre prestement le nord de l'Europe et plus particulièrement Berlin. Le voyage en train avait un passage obligé par Belgrade, capitale de ce merveilleux pays qu'est la Serbie. Ce pays où l'on y trouve tant de joueurs de tennis, si facile à détester.
Il y a un véritable plaisir à voyager pendant des journées entières, dans un train, à voir défiler les paysages. La sensation d'évasion est saisissante. J'étais d'ailleurs vraiment excité à l'idée de traverser tous ces pays, qui furent le théatre de tant de remous, il n'y a pas si longtemps, sans pour autant avoir la moindre idée à quoi puisse bien y ressembler la vie. Comme attendu, une fois arrivée à la gare de Thessaloniki, je changeais pour un train composé de 4 vieux wagons dans lequels on ne trouve que des compartiments de 6 places dont les sièges sont presques totalement allongeables. Installé dans ce train d'un autre temps, on a cette impression de quitter le monde contemporain pour revenir quelques decenies en arrière, ce qui amplifie d'autant plus la sensation d'évasion. J'etais parti pour 17h de train, uniquement pour arriver à Belgrade, ensuite il me fallait changer encore 2 fois.
Le train, quasi vide, partit donc en direction de Belgrade à 16h. En cette mi-octobre, le soleil faiblissait déjà. Je m'allongis, regardant le paysage aride de Grèce progressivement s'éloigner puis m'endormis rapidement, je n'arriverai que le lendemain à 9h. Puis le train s'arreta de manière prolongée et quelqu'un ouvrit la porte du compartiment et de haute voix dit "Passeport!". On venait d'arriver à la frontière Macédonienne, ce qui me prit quelque peu par surprise. A force de voyager fréquemment dans toute l'europe, librement, j'avais quelque peu oublié que cette pratique d'un ancien temps était encore de rigueur et exécuté aussi sérieusement dans l'est de l'Europe. Néanmoins, en tant que Francais avec mon matelat de sol, pourquoi viendrait-on me poser des problemes. Il est vrai, je n'avais que ma carte d'identité mais le douanier, à la vue de ma carte, confirma mon optimisme en me disant, "ah! Francais! Ok!" et s'en alla récupérer les passeports de tous les autres passagers du train.
Cela n'échappa pas à un père de famille dont le fils, une sorte de mini troll qui déambulait frénétiquement sur l'unique quai de la gare, ce qui d'ailleurs amusait beaucoup les douaniers. L'injustice transforme les hommes en de cruels inquisiteurs. Il me pointa du doigt, au loin auprès des douaniers qui ne se souciait pas le moindre du monde de mon cas et je me disais "FRANCAIS!" tout en le regardant droit dans les yeux. Après une scène digne de tout film sur la guerre froide, le train repartit. Nous étions en Macedoine, on distinguait encore les taches orangeâtre du soleil qui se diffusait sur le ciel bleu mais la luminosité baissait rapidement, ce qui fut propice au sommeil. J'avais dormi la veille, une nouvelle fois dehors, dans le froid, face à la gare d'Athènes.
Je dormis 4h jusqu'à notre arrivée à Skopje, la capitale de la Macédoine. On ne voyait pas grand chose de la ville mais celle-ci semblait correctement développée. C'était surtout des grands HLM que l'on voyait au loin. De toute facon, la Macédoine, ca serait pour une prochaine fois, probablement lointaine, me disais-je en voyant la ville à son tour s'éloigner. Il ne restait plus que dix heures jusqu'à Belgrade. Nous arrivimes rapidement à la frontiere Serbe, Joyeuse Serbie.
-"Passportje!", je sursautais de mon sommeil, puis levais la tête vers ce collosse, brun qui avait probablement connu la guerre.
Je luis tendis ma carte d'identé et eus comme un mauvais pressentiment. Puis il me regarda, la secouant et dit un truc ressemblant vaguement à,"nietje validje! Here serbja".
Il la prit néanmoins puis s'en alla. Il était 23 heures et le fond d'air s'était depuis fortement raffraichi, tout comme la probabilité de mon arrivée à Belgrade se réduisait à chaque seconde.
Dans mon esprit, Le sentiment d'évasion se transformait peu a peu en un trou noir aspirant tous mes plans dans un néant d'incertitude. Puis le douanier revint et me dit:
-"comje withje mija,takeja yourje bagjes, passeportja nietje validje.backjje tje makedonja"
-"Is this a joke? Look! Im just on vacation, I just want to go to Germany. I dont want to stay in your (fucking shit) country "
Il me regarda avec son air de robot et secoua la tête tel un bovin. Les traumatismes de la guerre, sûrement. Subitement, il se mit à faire beaucoup plus froid, je pouvais à présent entendre les échos des bombardements, j'étais en train de passer dans une autre dimension,celle où je n'etais qu'un petit con de bourgeois occidental qui cherchait à jouer les aventuriers armé de mon blackberry et ma carte de crédit UBS.
Dans le poste des douanier, nous étions huit voyageurs en plus des 2 gardes. Dans le coin, la télévision diffusait le Big Brother local. Le deuxième garde était un petit blond, le regard dur et distant, il avait un petit air à la houellebecq, probablement d'un mépris total pour le monde occidental et devait prendre un malin plaisir à emmerder gratuitement les gens. Je le comprenais, à sa place, j'en ferais autant. Assis face à l'ordinateur, le grand brun vérifiait les passeports de chacun. Il appela tour à tour le nom des sept autres personnes qui une fois leur passeport en main, retournèrent dans le train. J'avais entre temps, bien essayé d'appeler un de mes amis, afin de récupérer le numéro de l'ambassade Francaise, mais ce fut en vain, le réseau téléphonique ne marchait pas. Il ne restait plus que moi, les gardes me parlaient toujours en Serbe, sans que je ne comprenne quoi que ce soit, mais ils s'en foutaient. Puis, ils se mirent à regarder Big Brother, l'un demanda à l'autre si la blondasse s'était probablement faite sauté par l'abruti de l'émission. j'y décela un instant d'émotion humaine, celle d'une grande betise, ce qui me donna espoir mais il est tellement plus facile de suivre des ordres que celui-ci fut de courte durée. J'étais face à de véritables murs puis je commenca à m'agiter face à tant de mauvaise foi, bien que cela ne soit pas recommandé dans ce genre de situation, mais on ne se refait pas.
-"10 minutje, trainje backje tje macedonja."
-"in macedonja, busje, go, malje touristje visja. Aroundje 10 eurjos. Thenje je canje gjo tja serbja"
-"please, I travelled 20 hours to get here, I just want to go to Germany. It is not like im from Afganistan"
Vu ma barbe et mon bronzage, je trouvais cette dernière phrase osée, puis dans une dernière tentative despérée, je franchis la ligne, en essayant de les corrompre.
-"how much do you want? 30, 50, 100, 200 euros?"
je posa un billet de 100 euros sur la table, excédé par la situation. Il se redressa sur son siège et fit "oh no no no! ", je repris de suite le billet, me disant,"que suis-je en train de faire?". Je sortis du poste pour réessayer de joindre quelqu'un par téléphone, ce qui cette fois-ci fonctionna mais en réentrant, le petit blond, me regarda et me dit "Finished. Red book.Finished, look! Red book". Je les entendis inscrire mon nom dans ce grand livre, ou doit être listé toutes les personnes, interdites à vie, d'accès au territoire serbe, pour cause de viabilité à la sécurité nationale. Bien qu'ennuyant, j'étais pas peu fier de faire mon entrée remarquée dans ce palmares, je serais sûrement ensuite ajouté au fichier national "Edviga Karadic". L'aventure commencait enfin.
Dans le train fantome pour Skopje, les doutes et les questions se firent nombreux. Les Macédoniens me laisseraient ils rerentrer dans leurs pays? Dans le fond, je n'étais meme pas sencé y etre non plus. Où allais je dormir? La ville est elle dangereuse? Comment rejoindre Berlin sans passer par l'Italie et la Serbie sans passeport et à moindre cout?
Mais au fond de moi, je me disais, "Skopje, ma chère Skopje, ma belle et tendre Skopje, me voilà, j'arrive".